Figueres, le 13 Janvier 2014
La Fundació Gala-Salvador Dalí acquiert une huile sur bois de 1933 intitulée Charrette fantôme.
Cette peinture avait appartenu à la collection d’Edward James (1907-1984), poète anglais, surtout connu pour être un fervent défenseur du surréalisme, et qui fut le mécène de Dalí entre 1936 et 1939, ainsi que celui de René Magritte. Sa maison, Monkton House, près de West Dean House dans le Sussex (Royaume-Uni) était un véritable rêve surréaliste : on y trouvait en effet un grand canapé auquel Dalí avait donné la forme des lèvres de Mae West, le fameux sofa-lèvres, ainsi que le téléphone-langouste, à la conception duquel le poète avait collaboré avec Dalí.
Quant à cette huile, elle doit être replacée dans le contexte des années 1933-1936, époque où Dalí réalise plusieurs œuvres mettant en scène la plaine de l’Empordà et la plage de Roses.
Au centre d’une vaste étendue aride mais lumineuse, une charrette à deux roues se dirige vers une agglomération. La forme de la tartane tend à se fondre avec celle de la ville, se muant ainsi en sa propre destination. Il s’agit d’une illusion de perspective par laquelle le peintre tente habilement de nous mystifier une fois de plus. Où l’on attendait des roues, il y a deux pieux plantés en terre. Les personnages assis dans le chariot s’identifient à l’architecture de la ville, au fond. Ici, comme dans d’autres jeux visuels proposés par le peintre, la méthode qu’il avait qualifiée de paranoïaque-critique joue un rôle fondamental : « Méthode spontanée de connaissance irrationnelle reposant sur l’objectivité critique et systématique des associations et des interprétations de phénomènes délirants ». On voit une tartane et une ville, ou les deux en même temps.
La charrette ou tartane était le moyen de locomotion habituel durant l’adolescence du peintre. Dans son autobiographie, Vie secrète, il y fait allusion au sujet de la famille Pichot : « Je m’en fus en tartane avec monsieur et madame Pichot et Júlia, leur fille adoptive de seize ans, qui avait de très longs cheveux noirs. Monsieur Pichot conduisait lui-même l’attelage. » L’attelage est également un élément récurrent de l’iconographie surréaliste et de la filmographie de Luis Buñuel, par exemple dans Belle de jour.
Dalí et son paysage, éléments indissociables de la production artistique du peintre. Josep Pla en fait un portrait très précis dans l’Homenots qu’il consacre au peintre :
« À cette époque [1926] Dalí semblait un léopard famélique. Mais tout cela ne manifestait qu’une simple morgue de jeunesse, qui passerait fatalement. Et, en effet, chaque fois qu’au cours de ces années il s’est exprimé avec une sincérité authentique, ses qualités de dessinateur se sont manifestées au service du paysage de l’Alt Empordà, qui a été, est et demeurera l’obsession de sa vie. C’est sur cette base qu’il a fait les premières tentatives de ses grandes synthèses ultérieures, réalisées avec une précision prodigieuse, avec un réalisme lucide. Lorsque nous, gens de l’Empordà, verrions cette tartane posée sur la plaine dilatée, sous la voûte du ciel clair, lavé, lumineux et immense, nous constaterions que notre peintre était né – le peintre qui avait découvert et compris (aussi bien qu’un paysan du terroir) notre pays. »
Du point de vue technique, ce tableau rappelle d’autres œuvres de notre collection, notamment Portrait de Monsieur Emilio Terry, Le spectre du sex-appeal ou Portrait de Gala portant deux côtelettes en équilibre sur son épaule par la minutie, caractéristique du moment où Dalí peint Charrette fantôme. Ainsi que par l’utilisation de bois nobles, l’acajou en l’occurrence, de dimensions réduites, comme support de touches de pinceau précises, de couches translucides, de détails quasiment imperceptibles qui autorisent cette peinture à occuper une place d’honneur dans la Salle du Trésor du Théâtre-musée dont nous fêtons les 40 ans d’existence.