Figueres, le 30 Mai 2011
La Fundació Gala-Salvador Dalí a présenté sa dernière acquisition, une huile sur bois de l’année 1934 intitulée Paysage avec éléments énigmatiques. La Fondation a déboursé pour cette œuvre 11 millions de dollars (7,8 millions d’euros). Elle l’a acheté à un particulier qui souhaite rester dans l’anonymat.
L’objectif de la Fondation Dalí est que le musée de Figueres demeure la pièce fondamentale pour comprendre l’évolution picturale, la pensée et la vie de Salvador Dalí.
Contexte de l’œuvre
Nous présentons aujourd’hui Paysage avec éléments énigmatiques, une huile sur bois de 1934, année où Salvador Dalí, pleinement intégré au groupe surréaliste, participe aux nombreuses activités qui en occupent les membres. Cet engagement n’est toutefois pas exempt de controverse. Au début de l’année, le groupe que dirige André Breton tente sans succès d’expulser le peintre. C’est également en 1934 que, grâce au galeriste Julien Levy, Dalí expose pour la première fois en solo aux États-Unis, plus précisément à New York.
Les « éléments énigmatiques » qu’on y observe sont rassemblés sous un ciel à la luminosité singulièrement intense. La figure principale, celle du peintre Vermeer de Delft, prend place au centre de l’œuvre. Vermeer, l’un des peintres de référence de Dalí, aura été une influence majeure pour celui-ci tout au long de son œuvre. Enfant déjà, Dalí était fasciné par une reproduction de La dentellière de Vermeer, accrochée dans le bureau de son père. Cette huile n’est pas la seule à avoir pour protagoniste le peintre hollandais. La même année, on trouve encore : Le spectre de Vermeer de Delft, pouvant être utilisé comme table (nº cat. 363) ; Masquerader, intoxicated by the limpid atmosphere [Personnage masqué, intoxiqué par une atmosphère limpide], Spectre de Vermeer de Delft (nº cat. 365) ; Le spectre de Vermeer de Delft (nº cat. 367) ; Spectre de la chaise de Vermeer ou Spectre de Vermeer de Delft (nº cat. 366). Sur les deux premiers, le peintre est représenté de dos comme une silhouette sombre, agenouillée, bras reposant sur une béquille. Dans les deux cas, la silhouette présente également une jambe excessivement longue qui figure en quelque sorte une table. Sur le premier, Le spectre de Vermeer de Delft, pouvant être utilisé comme table (nº cat. 363), une bouteille et un petit verre reposent sur la table. Sur le second, Spectre de Vermeer (nº cat. 365), la table-jambe ne supporte rien. Dans les deux autres œuvres, Vermeer s’est transformé en spectre. La silhouette qui le représente rappelle celle de Le spectre du sex-appeal (nº cat. 338) : ce sont des figures soutenues par des béquilles, presque anthropomorphiques, mais dont les membres sont amputés… un amas de chair et d’os qui rappelle vaguement une forme humaine. En revanche, la toile que nous présentons aujourd’hui montre un Vermeer actif, assis devant son chevalet, en train de peindre.
Comme le précise le titre, le paysage qu’il a en face de lui présente des « éléments énigmatiques ». Ainsi, en bas à droite, aperçoit-on Dalí enfant, en costume de marin, qui tient un cerceau et un os ; à ses côtés, assise et de dos, la silhouette d’une nourrice absorbée par une tâche indéterminée. Ces deux éléments reviennent très fréquemment chez le Dalí surréaliste, en particulier à cette époque.
Paysage avec éléments énigmatiques n’a pas été souvent exposé à l’époque de sa création. On ne connaît que deux occasions où il l’ait été dans les années 30 : en 1934, Dalí le présente au prix Carnegie de Pittsburgh et remporte une mention d’honneur spéciale ; quelques années plus tard, en 1939, il fait partie de l’exposition Contemporary Art of 79 Countries organisée par The International Business Machines Corporation Collection, qui en était le propriétaire.
L’intérêt de Dalí pour Vermeer de Delft est récurrent dans le temps. Vers 1936, il peint Apparition de la ville de Delft (nº cat. 299), œuvre où il montre, en toile de fond, une vue de la ville natale de Vermeer. Plus près de nous, en 1955, le peintre demande au Musée du Louvre la permission de faire une copie de La dentellière du maître de Delft, autorisation qui lui est accordée. Le résultat de cette expérience, dont le matériel documentaire a été conservé, est une copie de l’œuvre de Vermeer, ainsi qu’une version dalinienne où La dentellière explose en de multiples défenses de rhinocéros.
Dans Paysage avec éléments énigmatiques, il y aussi les cyprès, l’architecture et d’autres éléments caractéristiques de l’iconographie de cette période, encore que le plus frappant soit la figure revêtue d’un drap, qu’on ne retrouve que dans Cour ouest de l’île des morts (obsession reconstitutive d’après Böcklin) également de 1934 (nº cat. 391). La tour, tour des énigmes, est un élément qui a toujours fasciné Dalí, de l’époque du Molí de la Torre aux derniers jours à Figueres. L’environnement et les nuages de Paysage avec éléments énigmatiques sont une constante de l’œuvre dalinienne de cette année, tout comme les cyprès et les ruines, évocateurs de notions diverses et ouvertes.
La toile sera visible dans la Salle des Dessins (rez-de-chaussée) du Théâtre-musée Dalí de Figueres, au sein d’un montage réalisé à l’intention expresse de cette œuvre surréaliste majeure.