Figueres, 25 septembre 2014
La présentation a été assurée par Antoni Pitxot, directeur du Théâtre-musée Dalí, et Montse Aguer, directrice du Centre d'études daliniennes. La politique de collaboration que la Fondation Dalí a menée ces dernières années avec des institutions muséales du monde entier et de grands collectionneurs d'œuvres daliniennes lui permet d'obtenir des échanges et des prêts temporaires portant sur des pièces de très grande importance.
À l'occasion du 40e anniversaire de l'inauguration du Théâtre-musée Dalí, la Fondation tient à montrer à ses visiteurs l'une des huiles les plus représentatives de la première période du peintre. Il s'agit de Personnage à la fenêtre, également connue sous le titre Jeune fille à la fenêtre. On y voit la sœur du peintre, que Dalí représente fréquemment dans les années 20. Anna Maria sera le modèle de l'artiste jusqu'en 1929, année où il fait la connaissance de Gala et où la relation avec sa sœur prend un autre tour. Ici, la jeune fille apparaît de dos, devant une fenêtre grand ouverte, en train de contempler la mer de Cadaqués, un paysage qui accompagnera la famille Dalí et Anna Maria elle-même toute leur vie durant.
Contexte de l'exécution de Jeune fille à la fenêtre
Il est fort probable que le moment de la création se situe lors d'une des parenthèses de villégiature que la famille Dalí s'accordait à Cadaqués. Grâce à l'amitié avec la famille Pitxot, dont on se souvient comme des premiers touristes à avoir élu résidence dans ce village du Cap de Creus, les Dalí entament à partir de 1910 une longue séquence de séjours estivaux à Cadaqués. L'environnement représenté sur cette toile est probablement la vue depuis l'une des fenêtres de la maison que possède la famille sur la plage d'Es Llaner : au premier plan la mer et, à l'horizon, la rive connue sous le nom d'Avinguda Víctor Rahola. C'est là un paysage que Dalí représentera à diverses reprises. On peut le voir, par exemple, sur Rochers d'Es Llaner, de 1926 (nº cat. 183), huile qui nous permet d'identifier la maison familiale d'Es Llaner comme point de départ de cette œuvre.
Un autre élément indique que nous sommes à Cadaqués, et plus précisément à Es Llaner : les maisons qui se reflètent dans la vitre de la fenêtre, les mêmes maisons blanches qui personnifient encore aujourd'hui le paysage des lieux. N'oublions pas qu'il s'agit de l'environnement que Dalí peindra avec insistance durant ses années de formation. Dans les années 10 et 20, il épuise la thématique paysagère, Es Llaner et Cadaqués apparaissant comme l'axe commun de nombreuses toiles : Plage d'Es Llaner, vers 1916 (nº cat. 32), Paysage de Cadaqués. Port Alguer, vers 1919 (nº cat. núm. 72), Cadaqués, vers 1919 (nº cat. 83) Port d'Alguer et Mont Paní depuis la Mairie, vers 1920 (nº cat. 44), La plage d'Es Llaner, 1921 (nº cat. 114), ou Port Alguer, vers 1923 (nº cat. 140).
C'est donc cette Cadaqués que Dalí dévoile avec subtilité aux côtés d'Anna Maria. Comme nous venons de le dire, les années 20 sont pour Dalí des années de formation et de définition stylistique : il expérimente différents styles artistiques et flirte avec plusieurs mouvements de l'époque avant de s'identifier au surréalisme. Peut-être pourrions-nous définir Jeune fille à la fenêtre comme une œuvre relevant du Noucentisme, ne serait-ce que parce qu'y est figé un moment aussi quotidien que le fait de contempler la mer, mais aussi en raison du classicisme avec lequel est traité le corps d'Anna Maria et surtout de la dextérité orthodoxe du coup de pinceau dalinien. On le voit, en 1925, Salvador Dalí communique déjà avec un langage qui lui est propre et il allie une patte parfaite à la maîtrise de la composition.
Ce tableau est donné à voir pour la première fois lors de la première exposition individuelle de Dalí, organisée aux Galeries Dalmau du 14 au 28 novembre 1925, aux côtés de 17 toiles et de 5 dessins. Comme on peut le lire dans la presse de l'époque, l'événement est fort bien accueilli et remporte un franc succès. Dalí reçoit même l'hommage de deux banquets, l'un à l'Hôtel España de Barcelone, le 21 novembre, l'autre à l'Hôtel Gifré de Figueres, le 5 décembre.
Ces informations, ainsi que d'autres nouvelles parues dans la presse, sont rassemblées sous forme de notes et de coupures dans le album-journal que tenait le père de l'artiste, le notaire Dalí, y ajoutant peu à peu tout ce qui faisait référence au parcours de son jeune artiste de fils. Voici deux exemples tirés de ce recueil :
La Publicitat (Barcelone, 20/11/1925). Dans la rubrique « Carnet des Arts », C. C. annonce que : « La toile Personnage à la fenêtre, œuvre qui a récolté le plus grand nombre de suffrages, juxtapose ces deux éléments avec un bonheur sans précédent. Les tons gris et bleutés qui y règnent, la lumière magnifiquement distribuée qui fait ressortir avec une prodigieuse noblesse la silhouette féminine sur l'atmosphère transparente du fond, tout contribue à donner à cette œuvre sympathique et pénétrante une vague résonance élégiaque ».
Selon un article de J. Cusí à propos de l'exposition de peintures de Salvador Dalí, publié dans La Veu de l'Empordà (Figueres, 12/12/1925) : « Il émane de Figure à une fenêtre, qui présente les mêmes qualités que les autres toiles, davantage de fraîcheur, de tendresse des couleurs et de luminosité. On ressent à la contempler une sensation de paix et de bien-être indéfinissables. La lumière joue d'une manière captivante avec les plis de la robe et les flots de la mer. Quelque chose attire dans toutes les toiles de Dalí ; ses peintures ne sont pas une simple combinaison technique et réussie de couleurs : derrière toutes se tient l'émotion du peintre qui les exécute ».
On le voit, Dalí obtient là une première reconnaissance importante de son œuvre, et l'exposition aux Galeries Dalmau, comme la toile Jeune fille à la fenêtre, font l'objet de moult commentaires et éloges. Le talent de Salvador Dalí est officialisé.
Cette pièce n'avait été vue à Figueres qu'à une seule occasion, lors de l'exposition anthologique de 1983 organisée à Barcelone et à Madrid, et dont une partie avait été accueillie par notre musée.
Pour ce prêt temporaire, la Fondation Dalí a expressément conçu un montage dans la Salle des dessins. L'installation est l'œuvre de Pep Canaleta, le graphisme d'Alex Gifreu. Elle sera visible pendant trois mois - d'aujourd'hui, 25 septembre, au 31 décembre - et sera l'un des attraits de l'ouverture spéciale, les soirées des 28 et 29 septembre, dans le cadre de la commémoration des 40 ans du Théâtre-musée Dalí.