Rosa Maria Maurell Centre d'Études Daliniennes. Fondation Gala-Salvador Dalí
Hora Nova, 2000
Comme son oeuvre picturale, les écrits de Salvador Dalí regorgent de références mythologiques; c'est au mythe de Léda que nous nous attacherons ici.
L'huile intitulée Léda atomique (1949) se trouve dans la Salle du Trésor du Théâtre-musée Dalí de Figueres. Pour cette toile, Salvador Dalí s'est inspiré du mythe classique de Léda. Selon la version la plus populaire, Léda était la fille du roi d'Étolie, Thestios, et d'Eurythémis. Elle épousa Tyndare, lequel, expulsé de Lacédémone, avait trouvé refuge au palais de Thestios. Zeus, le père des dieux, s'éprit de la belle Léda et comme elle se refusait à lui, se transforma en cygne. On dit que la nuit même où Tyndare s'unit à Léda, Zeus vint lui aussi l'honorer sous forme de cygne. De ses ébats avec l'oiseau, Léda conçut deux oeufs d'où sortirent deux paires de jumeaux dont l'un était mortel et l'autre immortel: Castor et Pollux - les Dioscures - et Hélène et Clytemnestre.
Dalí entreprit de peindre sa Léda en 1945, aux États-Unis; le tableau représente Léda, vue de face, assise sur un piédestal, la main gauche frôlant un cygne qui s'approche d'elle comme pour lui donner un baiser. Autour de la figure principale, plusieurs objets, dont un livre, une équerre et un oeuf qui pourrait représenter le fruit des amours du cygne et de Léda d'où naquirent les jumeaux. Au fond, de chaque côté, les rochers du cap Norfeu, situé entre Roses et Cadaqués, font référence à la terre natale de l'artiste.
Léda atomique est conçue selon les critères de la divine proportion théorisée par le peintre de la Renaissance italienne Luca Paccioli. Léda et le cygne s'inscrivent dans un pentagone à l'intérieur duquel vient s'insérer une étoile à cinq branches dont Dalí fit plusieurs esquisses. L'artiste a calculé l'harmonie des références selon les règles établies par le mathématicien Matila Ghyka, qui enseignait à l'époque à l'université de San Diego. Ses travaux montrent que la divine proportion est le fondement de toute oeuvre. Contrairement à certains de ses contemporains, qui estimaient que les mathématiques distraient/interrompent l'inspiration artistique, Dalí jugeait qu'il ne pouvait y avoir de véritable oeuvre d'art sans composition ni calcul.
Son épouse, sa muse, lui servait de modèle et, dans l'interprétation qu'il donne du mythe, on voit Dalí traiter l'amour avec plus de spiritualité que ne l'ont fait d'autres peintres, comme Michel Ange ou Nicolas Poussin qui n'en virent que la facette charnelle, l'union physique entre le Zeus-cygne et Léda. Ici, tout est éthéré, nul élément n'en touche un autre, pas même la mer et la terre. En fait, dans son ouvrage Visages Cachés, le peintre parlait déjà d'un amour intense sans contact physique, qu'il baptise clédalisme. Dans d'autres oeuvres de Dalí telles que la Madone de Portlligat (1952) ou Figure rhinocéronthique de l'Illisos de Phidias (1954), les figures centrales sont également en lévitation.
On soutient que, filant le mythe classique, Dalí s'identifiait à Pollux et que son défunt frère, Salvador, pouvait représenter le jumeau mortel, Castor, alors qu'au sein de l'autre couple, Anna Maria, sa soeur, aurait été la mortelle Clytemnestre et Gala, la divine Hélène dont la beauté était si prodigieuse qu'elle provoqua une guerre entre grecs et troyens.
Si le peintre peut aisément identifier son épouse à Hélène, c'est qu'elle est pour lui un motif d'inspiration: sa contemplation le conduit à de sublimes créations.
Au reste, dans un de ses écrits, Salvador Dalí nous révèle la finalité de son oeuvre: "J'ai commencé à peindre cette Léda atomique qui exalte Gala, la déesse de ma métaphysique, et j'ai réussi à créer "l'espace-suspendu".