Parcours chronologique
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Jusqu’en 1936
La date de la première œuvre sculpturale de Dalí est encore incertaine. Certaines créations du début des années 20, pour lesquelles la paternité de Dalí reste incertaine, font encore l'objet d'études. Il s'agit d'interventions picturales sur des objets décoratifs qui demandent de nouvelles vérifications pour pouvoir confirmer ou infirmer que Dalí en est bien l'auteur.
Il faut cependant attendre le début des années trente pour que s'ouvre une première et véritable étape de création sculpturale. En 1931, Dalí publie un article dans Le surréalisme au service de la révolution intitulé « Objets surréalistes »[1]. Ce texte s'impose comme un véritable manifeste théorique sur les nouvelles possibilités offertes par l'objet onirique proposé par Breton. Dalí y expose six catégories différentes d'objets surréalistes et présente son Objet à fonctionnement symbolique, aux côtés de ceux d'Alberto Giacometti, Valentine Hugo, André Breton et Gala Éluard. Ces créations se distinguent par leur caractère symbolique et fétichiste. Ce sont elles qui, dans un premier temps, entre 1931 et 1936, définissent l'œuvre sculpturale de Dalí. Ces objets viennent d'une certaine façon cautionner la théorie de la libération de l'inconscient exposée dans la méthode paranoïa-critique, que l'artiste commence à développer dans « L'Ane pourri », essai publié en 1930 dans La Femme visible[2].
Pendant cette période, Dalí consacre divers écrits à la théorie de l'objet sous toutes ses formes. Dans un article publié en 1929 dans L'Amic de les Arts, il parle pour la première fois d'objets « superréalistes »[3]. A partir de ce moment, il aborde très régulièrement la question de l'œuvre sculpturale et de l'objet et publie une série d'essais spécifiques intitulés « The object as revealed in Surrealist Experiment »[4] (1932), « Objets psycho-atmosphériques-anamorphiques »[5] (1933) et « Honneur à l'objet ! »[6] (1936).
Durant ces années-là, il produit aussi un autre type d'œuvre sculpturale : la sculpture-objet. Dans La Conquête de l'irrationnel[7], l'artiste qualifie son objet surréaliste intitulé Buste de femme rétrospectif, créé en 1933, de sculpture-objet. Même s'il n'entre pas dans les détails conceptuels et techniques, l'artiste définit ce type de création comme un assemblage d'objets trouvés ou d'objets de nature non artistique.
Dalí participe aussi à certaines créations qui, au niveau artistique, présentent de nouveaux défis. C'est le cas des sculptures involontaires réalisées en collaboration avec le photographe Brassaï et présentées dans la revue Minotaure en 1933[8]. Ces œuvres sont le fruit d'un acte de création automatique dans lequel le caractère malléable de la matière et l'image photographique s'imposent comme les deux procédés essentiels. Dans ce cas, l'importance que Dalí accorde à la photographie dans le processus de création artistique est manifeste. Il le souligne lui-même dans un article publié dans la Gaseta de les Arts en 1929 : « Le simple fait de la transposition photographique implique déjà une invention totale »[9].
Il est également intéressant de constater qu'entre 1933 et 1936, Dalí se consacre avec une intensité tout à fait significative à la création de sculptures en plâtre. L'exemple le plus connu est certainement sa célèbre Vénus de Milo aux tiroirs de 1936 au Art Institute of Chicago, même si ce matériau a donné lieu à d'autres œuvres. Certaines photographies conservées aux Archives du Centre d'Études Daliniennes montrent Dalí travaillant à Portlligat, aux alentours de 1933, sur des sculptures en plâtre. Il lui arrive aussi d'intervenir picturalement sur les sculptures de plâtre d'autres artistes. Les œuvres ainsi conçues ont été recensées sous le nom de sculpture-intervention, parmi lesquelles le buste de Joella Lloyd de 1933-1934 du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid.
Cette première période chronologique inclut d'autres objets particuliers comme Babauou, une œuvre de 1932 conservée dans la Tour de Toutes les Énigmes du Théâtre-Musée Dalí de Figueres et Le petit théâtre, une création de 1934 conservée au MoMA de New York. On y trouve aussi certaines installations que l'on ne connaît que grâce à des photographies d'époque.
Concernant le processus de création, il faut souligner que cette première étape inclut essentiellement des œuvres originales uniques. Nous avons parfois distingué, au sein de cet ensemble, quelques œuvres originales uniques avec versions, c'est-à-dire des œuvres modifiées par Dalí lui-même après une première exposition et qu'il présente à plusieurs reprises avec de nouveaux éléments. Chacune de ces nouvelles présentations a été recensée sous le nom de version originale unique. À cet égard, le cas le plus emblématique est celui du Buste de femme rétrospectif qui, après avoir été présenté une première fois à la galerie Pierre Colle de Paris en 1933, fut modifié par Dalí dès 1934, donnant ainsi lieu à de nouvelles versions, documentées jusqu'en 1939.
C'est pourquoi cette première période qui rassemble les œuvres créées jusqu'en 1936 inclut aussi ces versions plus tardives, liées à la création de l'œuvre originale unique de 1933.
- Salvador Dalí, « Objets surréalistes », Le surréalisme au service de la révolution, num. 3, 12/1931, Paris, p. 16-17, [lám. 5-6].
- Salvador Dalí, La femme visible, Éditions surréalistes, Paris, 1930, p. [9]-[20].
- Salvador Dalí, « Objectes superrealistes. Objectes onírics », L'Amics de les Arts, any IV, núm. 31, 31/03/1929, Sitges, p. 10.
- Salvador Dalí, « The object as revealed in surrealist experiment », This Quarter, vol. 5, no. 1 09/1932, London, p. 197-207.
- Salvador Dalí, « Objets psycho-atmosphériques-anamorphiques », Le surréalisme au service de la révolution, num. 6, 05/1933, Paris, p. 45-48.
- Salvador Dalí, « Honneur à l'objet ! », Cahiers d'art, num. 1-2, 05/1936, Paris, p. 53-[59].
- Salvador Dalí, La Conquête de l'irrationnel, Éditions Surréalistes, Paris, 1935, pl. 24.
- [Salvador Dalí], « Sculptures involontaires », Minotaure, num. 3-4, 12/1933, Paris, p. [68].
- Salvador Dalí, « La dada fotogràfica », La Gaseta de les Arts, any II, núm. 6, 02/1929, Barcelona, p. 40 (traduit par nos soins).